Sans titre
Je suis ceux qui souffrent
Je suis
ceux qui pleurent
Je suis ceux que l’on tue
Ceux qui meurent
dans le silence
Je suis ceux dont on ne parle pas
Je suis ceux
que l’on a oubliés
Et dont on ne sait rien
Je suis ceux qui ne mangent pas tous
les jours
Je suis ceux qui peinent
Je suis ceux dont on vole le
travail
Je suis ceux dont on vole les terres
Je suis ceux dont
on vole le bien
Je suis ceux dont on vole les enfants
Je suis
ceux dont on vole l’enfance
Je suis ceux dont on vole la vie
Je suis ceux que l’on a chassés
Je
suis celles que l’on viole
Je suis ceux dont on a violé la
femme, la sœur, la fille
Je suis celles dont on a pris l’époux,
le frère, le fils
Je suis les orphelins
Les enfants que l’on
a armés
Je suis ceux qui ont tout perdu
Ceux qui ne sont pas
revenus
Je suis ceux que l’on juge
Ceux
que l’on condamne
Ceux que l’on emprisonne
Ceux que l’on
torture
Ceux que l’on assassine
Je suis ceux que l’on
exécute
Je suis ceux qu’on a convaincus
Je
suis ceux qu’on a transformés en meurtriers
Ceux à qui on a
arraché leur humanité
Je suis ceux qui n’ont plus de
passé
Et tous ceux qui n’ont pas d’avenir
Je suis ceux qui ne sont pas allés à
l’école
Et ceux qui y sont trop allés
Je suis ceux qui
comptent sur leurs doigts
Je suis ceux qui comptent dans les
étoiles
Ou qui lisent dans le sang des bêtes
Je suis les
anciens qui racontent des histoires
Ceux qui les écoutent et y
apprennent
Je suis ceux qui craignent leurs ancêtres
Je suis ceux à qui l’on a volé
leurs statues
Je suis ceux qui voient faner leurs traditions
Leur
mémoire
Je suis ceux dont on détruit les monuments
Les lieux
de culte
Je suis ceux que l’on insulte
Je suis ceux à qui l’on impose une
langue
Une façon de se vêtir
Un droit, des frontières, des
murs
Des croyances ou des opinions
Je suis ceux à qui l’on interdit de
chanter
Ceux à qui l’on interdit de danser
Ceux à qui l’on
interdit de prier
Ceux à qui l’on interdit de croire
De
jouer
Je suis ceux qui parlent
Ceux qui ne
parlent pas
Je suis ceux qui lisent
Ceux qui ne lisent pas
Je
suis ceux qui écrivent
Ceux qui n’écrivent pas
Je suis ceux
qui n’ont pas le droit de parler, de lire, d’écrire
De
dessiner
Pas le droit de rire
Je suis le peuple
Je suis les
dominés
Je suis les révoltés
Je suis ceux qui refusent
Je
suis ceux qui luttent
Ceux qui résistent
Mais je suis aussi ceux qui
acceptent
Je suis ceux qui se résignent
Je suis ceux qui
capitulent
Ceux qui ne luttent plus
Ceux qui se sont rendus
Je
suis ceux qui tremblent
Je suis ceux qui fuient
Je suis ceux
qui se noient
Ceux qui se sont laissés prendre
Je suis ceux qui boivent
Je suis
ceux qui fument
Je suis ceux qui se droguent
Je suis ceux qui
foutent leur vie en l’air
Je suis ceux qui se foutent en l’air
Je suis ceux qui n’ont pas de
certitude
Je suis ceux qui cherchent la vérité
Je suis ceux
qui ne savent pas
Qui ne veulent pas savoir
Et surtout pas
mieux que les autres
Je suis ceux qui disent amen
Je suis
ceux qui disent merde
Je suis ceux qui croient
Je suis
ceux qui refusent de croire
Je suis ceux qui ne croient pas
Je
suis ceux qui prient
Ceux qui doutent
Je suis ceux qui veillent
Je suis
ceux qui espèrent
Et ceux qui se sont endormis
Je suis ceux que l’on aime
Ceux
que l’on hait
Et ceux que l’on n’aime pas
Je suis ceux
qui aiment
Je suis ceux qui n’aiment pas
Ceux qui aiment
mal
Ceux qui aiment trop
Je suis ceux qui entendent
Je suis
ceux qui voient
Je suis ceux qui offrent
Je suis ceux qui
servent
Je suis ceux qui délivrent
Je suis ceux qui
s’ouvrent
Je suis ceux qui visitent
Je suis ceux qui
accueillent
Ceux qui ouvrent leurs mains
Je suis ceux qui partent
Je suis
ceux qui errent
Je suis ceux qui se perdent
En chemin
Je suis l’étranger
Je suis les femmes, les hommes
Je
suis les enfants
Je suis les petits
Je suis les
simples, les idiots, les ahuris
Je suis les cons, les beaufs
Je
suis les fous
Je suis les rêveurs
Je suis surtout ceux qui ne sont personne
Je suis
Personne
Emmanuel Bossennec – Janvier 2015